Vœux institutionnels de la Chambre nationale des commissaires de justice pour 2023
1 février 2023J’ai reçu une assignation par voie de commissaire de justice : qu’est-ce que cela signifie ?
23 mars 2023A l’instar de l’ensemble des professions du droit, celle des commissaires de justice se féminise à grands pas et compte aujourd’hui 43 % de femmes. Si ce phénomène est moins notable que chez les avocats (57%), les notaires (55%) ou les magistrats (66%), les femmes sont désormais majoritaires chez les nouveaux entrants. Ce relatif rééquilibrage cache cependant des disparités, notamment en matière de représentativité dans les instances professionnelles ou dans la forme d’exercice entre les hommes et les femmes. Sensibilisée la Chambre nationale souhaite désormais engager des réformes pour assurer une parité sereine dans la profession. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous avons interviewé des femmes commissaires de justice, exerçant à la tête d’un office depuis de nombreuses années, élues ou jeunes installées, sur leur expérience professionnelle au féminin.
Une féminisation incontestable
Aujourd’hui 1639 femmes exercent comme commissaires de justice, soit 43% de la profession. En 2014, elles ne représentaient que 28% des huissiers de justice, dont la profession ne s’est ouverte aux femmes qu’en 1948, et a connu une féminisation très modérée à ses débuts : 2% en 1970, 13,5% en 1995, 18,9% en 2000. Sans surprise, ce sont dans les tranches d’âge les plus jeunes que l’équilibrage, voire l’inversion, s’opèrent : chez les plus de 50 ans, seul un tiers des commissaires de justice sont des femmes, quand chez les moins de 50 ans, les femmes sont légèrement majoritaires. Et ce sont en moyenne 70% de candidates qui ont été reçues lors des dernières sessions de l’examen professionnel de commissaires de justice.
Un « métier d’homme » dont l’image a évolué
Le métier d’huissier de justice a longtemps été socialement perçu comme réservé aux hommes, compte tenu de l’attitude de fermeté qu’il était convenu d’adopter lors des procédures de saisies, d’expulsion, et de la dimension physique de certains constats (grimper à des échelles, intervenir sur des chantiers…). Dans un article intitulé « La résistible intégration des femmes dans un univers professionnel masculin : les huissiers de justice », publié en 2004 dans la revue Sociétés contemporaine, le sociologue Alexandre Matthieu-Fritz relevait dans les propos recueillis auprès d’huissiers de justice hommes un certain scepticisme quant à la capacité de leurs consœurs à exercer leur profession : défaut de force physique, de fermeté, vie de famille…
A l’annonce de leur choix de carrière, la réaction de l’entourage des femmes que nous avons interviewées témoigne encore de cet a priori. Barbara Serednicki, huissier de justice puis commissaire de justice depuis 2005 et présidente de la Chambre régionale des commissaires de justice de la Cour d’appel de Douai confie « J’ai fait face à un phénomène de méconnaissance du métier qui était celle de la fin des années 90. Issue d’une famille de filles, j’ai reçu une éducation très égalitaire mais mon entourage craignait plutôt que je trouve difficile d’exercer certaines missions délicates (saisie, expulsion…) compte tenu de ma sensibilité » Séverine Dautremay, huissier de justice puis commissaire de justice depuis 2006 et présidente de la Chambre régionale des commissaires de justice de la Cour d’appel de Reims, avoue avoir ressenti de l’appréhension : « Cette profession était mal perçue et exercée très majoritairement par des hommes. Je me souviens qu’une tante âgée m’avait dit « tu ne vas quand même pas passer ton temps à dépouiller des pauvres gens en leur prenant leurs meubles ! » Aujourd’hui, les choses ont changé : l’exécution des décisions de justice constitue une mission délicate mais indispensable à l’effectivité du droit, et qui requiert des qualités sociales de la part de tout commissaire de justice ». Jessica Mourer, qui a embrassé la profession en 2017 a également fait face à certaines craintes : « Je suis la première de ma famille à avoir obtenu le bac et à avoir fait des études, on me disait “c’est un milieu fermé, tu n’es pas issue d’une famille d’huissiers, ça risque d’être compliqué pour toi”. Ma famille ne doutait pas que j’obtiendrai mon examen mais craignait pour mon avenir et notamment mon installation en tant qu’associée. Aujourd’hui, ma famille est fière et rassurée ».
Le métier de commissaire-priseur judiciaire a également longtemps été identifié comme appartenant à un univers masculin. Gwenola Le Cloirec, commissaire-priseur judiciaire puis commissaire de justice depuis 2010 témoigne : « Certains de mes clients lorsqu’ils font appel à nous pour une vente s’imaginent encore voir arriver un homme plus âgé. Mais ils me confient ensuite que ça désacralise un peu le côté commissaire-priseur que les gens n’oseraient pas aller voir »
Un exercice au féminin ?
La pratique des missions du commissaire de justice, y compris celles relatives à l’exécution, sont aujourd’hui réalisées indifféremment par les hommes et par les femmes. « J’exerce depuis 5 ans seulement et je n’ai pas éprouvé de difficulté ou d’obstacle lorsque je prêtais mon ministère face aux justiciables. L’évolution des mœurs et la vigilance des femmes sur les comportements dont elles pourraient souffrir font qu’il est moins facile et admis d’adopter un comportement misogyne ouvertement. Les justiciables sont agréablement surpris et apprécient de voir une jeune femme sur le terrain en règle générale. Leur comportement est pour moi le même face à un commissaire de justice, quel que soit son genre. » affirme Jessica Mourer.
Si certaines commissaires de justice interrogées témoignent de spécificités féminines dans leur manière d’exercer, elles les considèrent comme un avantage : « C’est un atout car on a conscience qu’on ne peut pas passer qu’en force, avec un côté « assistance sociale » qui passe mieux pour une femme » explique Barbara Serednicki. Séverine Dautremay ne dit pas autre chose : « Nous sommes dotées d’une empathie plus importante nous permettant très certainement d’être mieux accueillies par les débiteurs. S’agissant de la réalisation des constats, notamment dans le milieu des travaux publics, il est pour ma part plus simple d’être une femme (avec du caractère !) pour créer une relation professionnelle pérenne. ». Pour Gwenola Le Cloirec : « Je le considère comme un avantage car les femmes me semblent plus polyvalentes : elles organisent les ventes, réalisent des inventaires, mais peuvent aussi exécuter sans hésiter des tâches plus administratives comme tenir le standard, ce qu’un homme ne ferait pas spontanément. Dans le cadre de certaines missions comme les tutelles ou les curatelles, nous pouvons « arrondir les angles ». Mais je tiens particulièrement au maintien d’une relative parité dans la profession : notre complémentarité est enrichissante ».
Une féminisation à géométrie variable
La forte progression de la féminisation de la profession cache cependant d’importantes disparités, notamment entre les titulaires, qui possèdent leur office en propre ou comme associé, et les commissaires de justice exerçant avec le statut de salarié : les femmes représentent 41% des titulaires (en progression de 10% par rapport à 2015), mais 67% des salariés.
Ce retard pris par les femmes pour s’installer à la tête d’un office par rapport à leurs confrères s’explique encore par la difficulté à investir une carrière libérale très exigeante professionnellement, tout en menant une vie de famille : « Le frein principal que j’identifie et ce qu’on appelle la « seconde vie des femmes » : je suis mère de quatre enfants, et mes aînées sont des jumelles. J’ai repris mon travail trois semaines après mon accouchement, en effectuant des tournées tôt le matin ou tard le soir, composant avec les disponibilités de mon mari ou de la nounou…J’ai finalement fait le choix quelques années plus tard de m’associer dans une étude plus importante, pour pouvoir mener de front ma vie professionnelle et ma vie familiale en profitant de plus de souplesse dans la répartition des tâches. Comme pour toute profession libérale, il faut être épaulée pour pouvoir exercer sereinement et profiter de sa vie de famille » explique Barbara Serednicki. Pour Séverine Dautremay, mener une vie de famille a nécessité quelques aménagements : « J’ai aménagé mes bureaux pour y accueillir mes deux jeunes enfants et pouvoir gérer leur quotidien avec son lot d’imprévus, avec toutefois l’accompagnement d’une excellente nourrice ! » ; La vice-présidente de la Chambre nationale, Agnès Carlier, confie n’avoir jamais pu profiter d’un mercredi avec ses enfants : « C’était le jour des ventes, nous étions peu à l’ étude, il fallait assurer cette mission de A à Z. »
Gwenola Le Cloirec note cependant : « La féminisation est en marche depuis déjà pas mal de temps. Je dirais que ce qui est plus nouveau c’est que des femmes possèdent leur propre étude. Auparavant, le schéma classique pour les femmes était d’exercer comme salariée avant de s’installer. Le tirage au sort a notamment permis à des femmes de devenir entrepreneures »
Des mesures engagées pour assurer la parité dans la profession et au sein des instances représentatives.
Benoît Santoire, élu président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) le 1er juillet 2022 a fait de la question des inégalités de genre (inégalités salariales, plafond de verre, flexibilité) et de la parité (accès facilité de la profession aux femmes, organisation de leur vie professionnelle, accès aux responsabilités dans les organes de représentation) une des priorités de son mandat.
Une commission consacrée à la parité a été créé, présidée par la 1ère vice-présidente de la CNCJ Agnès Carlier, et compte notamment parmi ses membres Brigitte Goutorbe déléguée de la Cour d’Appel de Paris ayant intégré le comité national de l’ordonnance de protection, Astrid Desagneaux, présidente de l’association Femmes Commissaires de Justice et d’Estelle Molitor, membre de la MIPROF (mission interministérielle pour la protection des femmes et la lutte contre la traite des êtres humains)qui y représente déjà l’UNCJ (l’Union Nationale des Commissaires de Justice).
La commission travaille en collaboration avec les autres professions du droit et en relation étroite avec la Haute Fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes, Laetitia Dhervilly, rencontrée en octobre dernier et invitée à la table ronde dédiée à la parité lors du Congrès national des commissaires de justice en décembre.
Pour Agnès Carlier, « les défis sont nombreux car on ne peut plus raisonner avec les anciens schémas. Comme disent les anglais « les anciennes clés n’ouvrent pas les nouvelles portes ». La Société change et notre profession doit aussi tenir compte des jeunes générations -hommes et femmes !- qui aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Nous travaillons à l’élaboration de différentes mesures, comme l’instauration d’un véritable congé parental. Nous réfléchissons également à pouvoir mettre en place des « remplaçants » pour les accidents de la vie comme la maladie ou les joies de la vie comme la maternité. Les jeunes femmes qui deviennent mères ne prennent souvent que quelques jours après leur accouchement…pourquoi les priver de ce moment privilégié ? »
Dans les instances représentatives, la part de femmes élues est encore faible. Seul un quart des 35 chambres régionales sont présidées par des femmes, et elles ne représentent que 27% des 47 délégués nationaux et des 11 membres du Bureau de la Chambre nationale.
Barbara Serednicki, présidente de sa Chambre régionale depuis 2022, l’explique par ce qui semble relever de l’auto-discrimination : « Au moment des élections de la Chambre Régionale, j’ai essayé de susciter des candidatures féminines dans la communauté, dans l’espoir d’aboutir à une parité des élus. Elle est quasi atteinte. En revanche, ce n’est pas le cas dans le bureau, où je suis la seule femme. D’une manière générale, j’ai constaté que les consœurs qui auraient la possibilité d’être élues ou de briguer des postes clés ne souhaitent pas les accepter. Je l’explique par le fait qu’elles ont une haute idée de ce mandat et qu’elles s’interrogent préalablement sur leur légitimité, leur disponibilité et leur capacité à en faire quelque chose, question que les hommes se posent souvent…après avoir candidaté ou accepté le mandat.»
Pour Agnès Carlier, encourager l’intégration des jeunes femmes dans les instances régionales et nationales est indispensable : « Ce sont elles qui feront bouger les choses ».